L'oeil le plus bleu de Toni Morrison
par NADIA GHADANFAR
Extraits de 20mn
Comédienne allemande au parcours atypique, formée au Théâtre National de Bonn, en Allemagne, Nadia Ghadanfar vit en France depuis 18 ans. Elle a travaillé aussi bien des spectacles de manipulation d'objets que participé à l’aventure artistique d’un collectif qui gère une ancienne friche industrielle. Parallèlement, elle se forme au mime corporel et à la danse contemporaine.
Elle se fait remarquer par ses interprétations des textes de Sarah Kane (« Purifiés », « 4.48 Psychose », « Anéantis »), montés par la CieTHEC. En 2007, elle monte sa compagnie « La Fabrique ».
Elle choisit de nous livrer un extrait du premier roman de la Nobel américaine Toni Morrison, qui plus de quarante ans après sa parution, fait encore parler de lui.
Aux États-Unis, encore aujourd'hui, la volonté de supprimer l’ouvrage des programmes et des bibliothèques scolaires est tenace. Le texte est qualifié de « pornographique » par ses détracteurs.
Toni Morrison est reconnue dans le monde entier comme une figure incontournable de la littérature américaine, elle a pourtant souvent été source de polémiques : si la critique ne tarit pas d’éloges à chacune de ses nouvelles productions (ce qui lui a valu de nombreuses récompenses, dont le prix Pulitzer et, bien sûr, le prix Nobel de littérature), il est toujours quelques personnalités pour s’insurger contre la violence de ses textes.
« L’Œil le plus bleu », publié en 1970, raconte l’histoire de Pecola, fillette noire jalouse de la beauté prétendue des Blanches, et qui rêve d’avoir les yeux bleus. Ainsi, quand les autres la regarderaient, l’admiration remplacerait le dégoût et la peur.
Toni Morrison y dénonce, comme dans la plupart de ses textes, la condition des Noirs aux Etats-Unis. L’intrigue se situe dans l’Amérique ségrégationniste des années 40 et présente des passages extrêmement violents
Il figure en effet à la quinzième place dans la liste des livres les plus censurés entre 2000 et 2009, réalisée par l’Association américaine des bibliothèques. On y trouve également deux autres romans de Toni Morrison : « Le Chant de Salomon » (« Song of Salomon ») et « Beloved », qui lui a valu le prix Pulitzer en 1988.
Au-delà de l’insulte faite à la littérature, une telle volonté de censure pose un problème éthique, car elle nie le caractère dénonciateur de l’œuvre. Toni Morrison est entrée en écriture à 39 ans, dans le but de faire entendre la voix du plus faible.
« Quand j’ai écrit “L’Œil le plus bleu” », confiait-elle au Magazine littéraire en janvier dernier, « c’était pour introduire cette voix dans la littérature et traiter des conséquences du racisme, traiter de la douleur que suscite le fait de découvrir que vous n’êtes rien à cause de la couleur de votre peau ».
Enfant, et noire, elle a fait de Pecola, son personnage, la représentation même de la vulnérabilité, démontrant que les pires horreurs sont réservées aux plus fragiles et ne craignant pas de choquer pour mieux dénoncer cette vérité.